Dysphasie: quand l’enfant devient une jeune adulte épanouie

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Être une enfant et devoir faire face aux défis liés à la croissance et à la découverte du monde est une belle aventure parsemée de hauts et de bas. Mais pour Emmanuelle, une jeune femme dysphasique, l’aventure a été tout sauf banale. Découvrez son histoire de courage dans ce touchant témoignage.

La dysphasie, ce *handicap de plus en plus connu est le sujet de nombreux articles sur la toile. Qu’est-ce que la dysphasie? Quand consulter? Comment intervenir? Comment aider mon enfant? Comment l’aider à l’école? Plusieurs associations et experts ont fait couler de l’encre sur l’enjeu juvénile. Comparé à il y a 25 ans, il est devenu facile de se documenter sur le sujet. Nombreux sont les spécialistes qui s’expriment sur les répercussions de ce handicap: la vie de l’enfant dysphasique, son apprentissage et son intégration sociale.

C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qui arrive après? L’enfant deviendra adulte… Or, l’adulte, on n’en parle pas. La dysphasie ne disparait pas avec la puberté ni avec l’arrivée des cheveux blancs. Je ne suis pas mère, mais j’imagine que je voudrais savoir quelles sont les perspectives d’avenir pour mon enfant. L’objectif d’un parent n’est-il pas que sa progéniture devienne un adulte accompli? Comment l’orienter vers un rayonnant destin si l’on ne connaît pas le «après»? Quelles sont les réelles possibilités pour l’adulte dysphasique? Quelles sont ses nouvelles difficultés et ses défis? Comment se sent-il face à tout ça?

*Bien que la légitimé du terme «handicap» soit un sujet de débat de nos jours, je tiens à l’utiliser pour désigner la dysphasie dans le contexte de cet article. À mon sens, un handicap est une situation qui désavantage une personne dans ses actions quotidiennes. Cette définition me correspond.

Connais-toi toi-même

Voyez-vous, j’ai été l’une de ces enfants. Depuis plusieurs années déjà, je suis devenue une grande personne, majeure et vaccinée. En ce moment, je suis à un point de ma vie où j’ai besoin de prendre du recul, de constater mon parcours accompli afin de mieux voir où je m’en vais. Quelle adulte suis-je devenue? Suis-je satisfaite de ma vie? Est-ce que la petite fille que j’étais serait fière de la femme que je suis aujourd’hui? Avant tout, pour savoir qui est l’adulte dysphasique, il faut savoir qui était l’enfant. Je vous invite à m’accompagner dans l’exploration de mon «avant» et de mon «après».

Avant tout, je dois éclaircir un point. Je vais vous parler de mon histoire et de mes expériences en tant que dysphasique. Cependant, cela ne fait pas de moi une représentante de ma catégorie. Il aurait tort celui qui nous placerait tous dans le même panier. La dysphasie, aussi appelée le trouble développemental du langage (TDL), atteint différemment chaque personne. Autrement dit, je ne peux parler que pour moi-même, car je suis un individu à part entière. Mon histoire unique m’appartient.

Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens. —Proverbe africain

Quand ma langue maternelle devient une langue étrangère

Physiquement, je n’ai pas de handicap apparent. J’ai tous mes morceaux en plus d’avoir un bon contrôle sur ma motricité. À mon grand bonheur comme à mon grand malheur parce que ma normalité m’a parfois causé préjudice. Il est plus facile d’offrir de la compassion, de la compréhension ou de la patience à une personne en chaise roulante puisque son handicap saute aux yeux. Depuis l’enfance, j’ai énormément évolué. La petite chenille est devenue papillon. Des faiblesses sont devenues des forces. Les difficultés du passé ont été remplacées par des nouvelles du présent.

Je me sens comme si ma langue maternelle était une langue étrangère due à l’effort que je dois déployer pour traduire mes pensées en paroles claires. Se comparer est inévitable. J’ai le sentiment de perdre à ce petit jeu depuis longtemps. J’y ai gagné un complexe d’infériorité. Bien que j’aie pris de l’assurance avec l’expérience, ce sentiment rôde toujours dans l’ombre. Voilé sous un drap de doutes, il attend l’occasion de resurgir. Il se manifeste lorsque je ne comprends pas les explications d’autrui. Soit, je crois avoir saisi le message, mais au final, je mélange les instructions ou j’en oublie une partie comme par exemple quand je ne retiens pas les instructions d’entraînement données par mon coach. Je me garde parfois d’avouer que je ne comprends pas comme si ça équivalait à un aveu de stupidité.

Se réinventer pour mieux avancer

À ma sortie du cégep, en 2017, j’étais d’attaque pour commencer ma carrière de graphiste-illustratrice dans le monde des grands. J’étais armée d’un DEC en graphisme, d’une formation de base en dessin animé en plus d’une expérience de travailleuse autonome à la pige. J’avais pour bagages du talent, mes 23 ans, ma gueule souriante et un cœur rempli d’espoir. Au moment où j’ai traversé le miroir, j’ai été désillusionnée. Le monde du design graphique et de l’impression est une énorme machine sans âme. Il m’a été difficile de me mettre dans le bain. J’ai enchaîné de nombreuses entrevues d’embauches. Les employeurs cherchaient à tout coup la perle rare: des jeunes de 20 ans qui ont 25 ans d’expérience.

En 2019, j’ai dû me rendre à l’évidence: je n’étais pas faite pour le monde du graphisme. À l’époque, j’avais au compteur 11 emplois en banque, dont 6 depuis les deux années précédentes. J’ai vécu cette révélation comme si j’étais engloutie sous une gigantesque vague d’échecs.

L’appel du grand air et un retour à l’école

J’ai dû prendre en considération mon type de personnalité afin de pouvoir travailler dans un domaine qui me convenait: introvertie, entreprenante, travaillante, organisée et imaginative. Tous ces indices m’ont dirigée vers l’horticulture. Toutefois, pour ce faire, il me fallait une formation. J’ai été très réticente à l’idée de me retrouver sur les bancs d’école. J’appréhendais toutes les difficultés auxquelles je me butais anciennement en plus que le besoin de gagner ma vie était présent. J’ai rapidement claqué la porte à cette idée. Il est toujours plus facile de ne rien faire, mais lorsqu’on ne fait rien, il n’arrive rien ! J’étais bétonnée dans ma décision ou plutôt dans ma crainte, jusqu’au jour où une grande inspiration me fit changer d’idée.

Une amie venait de terminer son DEC en animation 3D en 5 années. Forte de ce succès, au lieu d’embarquer sur le marché du travail, elle s’inscrit dans une nouvelle formation collégiale! Il s’agit d’une grande preuve de détermination. Ayant connaissance de toutes les difficultés qui ont provoqué l’allongement de sa première formation, j’ai été instantanément admirative envers elle. Si cette jeune femme pouvait faire cela, je le pouvais aussi! À partir de ce moment, j’ai entrepris une exploration personnelle afin de cheminer vers une nouvelle carrière qui me correspond. Bien qu’il y ait eu des moments plus difficiles, ma quête du Graal déboucha sur un nouveau métier: horticultrice.

Il faut cultiver notre jardin. —Voltaire

Message pour tous les futurs adultes dysphasiques

Quoique je me trouve encore dans la fleur de l’âge, je crois avoir quelques bribes de sagesse qui pourraient être utiles à tout futur adulte dysphasique. Le secret du bonheur n’est pas une formule gagnante pré écrite. Il est personnel à chaque individu. C’est à vous de le fabriquer. Toutefois, je peux vous donner des pistes provenant de mon cru. En premier lieu, il est important de se respecter en plus de s’accepter pour ce que l’on est véritablement. Bien souvent, nous sommes notre pire critique. Accepter tout de soi permet d’accéder à un premier niveau de bonheur.

Il y aura toujours des compromis à faire. Néanmoins, c’est en pratiquant un métier qui m’épanouit que je ressors satisfaite de mon travail. C’est ce qui m’a permis d’atteindre le deuxième niveau du bonheur. Troisièmement, trouvez votre motivation. Qu’est-ce qui vous fait lever de votre lit chaque matin? Trouver un objectif réalisable sera votre ligne directrice pour guider vos actions. Finalement, entourez-vous de votre famille ou de vos amis qui seront une source de réconfort pour vous.

Se construire un entourage trié sur le volet pourra vous apporter un soutien inestimable enrichi d’amour. Ce dernier conseil peut vous sembler démodé. À mes yeux, l’amour est une force pouvant soulever tout individu qui le partage généreusement.

L’amour est la seule chose que le partage grandit. —Massa Makan Diabaté

NOTE: Ce texte est constitué d’extraits d’un projet beaucoup plus élaboré sur lequel Emmanuelle et Josée, sa maman, travaillent actuellement.

Biographie

Illustratrice

Diplômée du Cégep Sainte-Foy, Emmanuelle est graphiste et illustratrice contractuelle. Créatrice des hiboux Aidersonenfant.com, elle témoigne des défis quotidiens que lui apportent sa dyslexie et dysphasie sévère. Son parcours particulier prouve que ses « dys »  sont à l’origine d’une force intérieur avec laquelle la jeune femme se démarque dans sa profession.

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